Paul et Autres Facéties : l’art dans la peau
Paul, 23 ans, habite à Lyon. Il est coiffeur-coloriste le jour et artiste-peintre le reste du temps. Flottant entre abstraction et figuration, ses œuvres sont le reflet de ses émotions et de ses ressentis. Inspiré par son quotidien, il tente de nous livrer, à travers ses réalisations, une perception touchante du monde et des visages qu’il représente. Amoureux des textures et des contrastes, on retrouve toute sa sensibilité au fil de ses productions. Voici pour vous un échange avec Paul et Autres Facéties, qui vient mettre de la lumière sur un travail exaltant et touchant. Il est certain que c’est un artiste à suivre de près.
Bonjour Paul, peux-tu te présenter en quelques mots ? Depuis quand dessines-tu ?
Je m’appelle Paul, j’ai 23 ans. Je suis coiffeur dans un salon lyonnais, et artiste-peintre. Ma famille trempe beaucoup dans le domaine artistique. Ma sœur a fait les Beaux-Arts de Lyon, je l’ai toujours vue en train de créer des choses, de faire beaucoup de plasticerie. Depuis tout petit je suis entouré de gens très artistiques, notamment sur la culture musicale avec mes parents. L’art a toujours pris une grande place dans la famille. Au début c’était ma sœur qui me dessinait mes sirènes préférées, et après c’est moi qui aie commencé à les dessiner ! Pour la peinture sur toile, ça doit faire 4 ou 5 ans que j’en fais.
Quand tu rentres dans ma chambre ça pue la peinture et la clope (rires) ! C’est vraiment quelque chose dans lequel j’ai toujours baigné, et c’est ça que j’aime bien. C’est important d’en faire tout le temps. Si je ne peins pas, je dessine, tous les jours. Même si c’est un petit truc fait en 5 minutes. C’est important d’apprendre à produire tous les jours. Et cela se fait naturellement au bout d’un moment, comme pour le vélo par exemple. En fait, tu n’as pas besoin d’avoir un talent inné pour l’art ou le dessin, par contre tu peux avoir des sensibilités différentes, par le biais de ton entourage, ta famille, dans quel milieu tu as évolué, etc. Mais je ne pense pas qu’il y ait des talents comme ça, innés. Il faut travailler pour ça. C’est un travail quotidien.
Peux-tu nous dire comment tu en es arrivé à la peinture ?
La peinture est venue assez naturellement. Je cherchais un nouveau médium à travailler parce que j’ai toujours beaucoup dessiné au crayon noir ou crayon à papier. J’ai fait beaucoup de mangas quand j’étais plus jeune. Donc le fait d’aller vers la peinture, c’était un peu la suite logique du chemin. J’aime beaucoup expérimenter et découvrir. Chez moi j’ai beaucoup de tableaux que je considère “foirés”, qui sont juste des essais et que je reprends parfois au bout de deux ans. Et en un coup de peinture, je me dis que ça y est, il est parfait. Il y a toujours eu une construction constante dans mes tableaux. Par exemple, le dernier tableau que j’ai posté sur mes réseaux sociaux, entre le projet de base et le résultat final, deux semaines se sont passées. Je suis passé par beaucoup de stades différents qui ne me plaisaient pas du tout. Le lendemain, je reprenais ce que je n’aimais pas, je recouvrais tout. Puis, avec toutes ces couches sur couches, j’arrivais à un moment donné à créer quelque chose, et c’est cela qui est joli. À la base, je n’allais pas du tout dans cette direction, puis au fil des coups de pinceau, ma main va un petit peu toute seule et ça se fait.
Comment nous décrirais-tu ton univers ?
C’est une question difficile car je ne regarde que très peu ce que font les autres. Avant, il y a quelques années maintenant, je me maquillais beaucoup, je n’avais pas de sourcils donc je faisais du full make-up partout. Je regardais beaucoup de comptes Instagram de make-up mais avec le temps je me suis rendu compte que je m’en inspirais trop, je cherchais un peu trop à copier ce que je voyais.
Maintenant, avec la peinture, j’ai plutôt tendance à m’inspirer de ce que je vois tous les jours, de mon quotidien. Je vais plutôt me fixer sur des ressentis, sur des sentiments. Par exemple, si un soir je me sens frustré, je vais rentrer et essayer de peindre ma frustration. C’est grâce à cela que mon travail est fluide et non pas bloqué dans quelque chose, dans une tentative de reproduction. Les seules fois où j’ai essayé de faire des moodboards, des thèmes couleurs… ça ne me plaisait pas, c’était trop droit, trop propre, trop lisse. Avec la peinture j’ai besoin de trucs un peu “foirés”. Il faut que ce soit fluide et naturel.
La couleur occupe une grande place dans ta vie, entre ton métier de coiffeur-coloriste et ton activité artistique. Comment nous parlerais-tu de ton rapport à la couleur ?
Pendant longtemps, je n’ai utilisé qu’une seule association de couleurs : le rouge, le noir et le blanc – au crayon noir et marqueur rouge. J’aimais beaucoup ce code couleur car il est assez simple et ces trois couleurs vont très bien ensemble je trouve. Par exemple, je faisais beaucoup de grosses lèvres rouges.
Mais aujourd’hui, ce n’est plus du tout la même chose. Au contraire, je mets le plus de couleurs possibles et je vois ce que ça donne, je teste. Grâce à mon métier j’ai cette notion de la colorimétrie, j’ai étudié le cercle chromatique, les couleurs complémentaires qui s’annulent ou qui vont bien ensemble. J’ai cette base-là, mais je ne l’utilise pas forcément pour la peinture parce que j’aime bien casser les codes, essayer d’être le plus spontané possible. Quand c’est trop réfléchi, ce n’est pas moi, ce n’est pas beau. Ce qui importe c’est ce que j’aime et non pas ce que vont penser les gens si je mets telles ou telles couleurs ensemble.
Penses-tu que ton métier et les coiffures que tu réalises peuvent être une inspiration pour tes œuvres ? Et inversement, tes tableaux t’ont-ils déjà inspiré la couleur d’une coiffure que tu as réalisée ?
Oui ça arrive, mais souvent ce n’est pas forcément la coiffure en elle-même, mais plutôt les discussions que je vais avoir avec les gens pendant que je les coiffe qui vont m’inspirer. Avec mes clients on parle des choses qu’on aime faire, de nos passions respectives, et parfois quand cette personne peint également, on va se montrer des photos de nos œuvres et de nos inspirations. Et là quelque chose se passe, et quand je rentre chez moi le soir je vais être inspiré. Quand j’ai une idée dans la tête, il faut que je la mette sur papier le jour-même, sinon je la perds. J’ai perdu trop de bonnes idées comme ça (rires) ! Donc oui ça m’arrive, mais ce n’est pas nécessairement la coiffure ou la couleur en elle-même qui vont m’inspirer, c’est plutôt le tout qui peut être inspirant. Après c’est vrai que quand tu fais une belle couleur sur quelqu’un, tu vois les effets de lumière qui peuvent être magnifiques et ça peut te donner une idée de couleur de fond par exemple. Maintenant j’aime bien créer mes propres couleurs, ce que je ne faisais pas avant. J’arrive à plus mélanger, diluer, chercher des tons un peu plus différents. J’aime bien aussi essayer de mélanger des couleurs qui ne se mélangent pas trop en temps normal, pour essayer de faire un truc sympa.
Quelles sont tes inspirations dont tu aimerais nous parler ?
J’aime beaucoup l’histoire de Jean-Michel Basquiat, j’ai beaucoup de livres et de romans graphiques sur sa vie. Je trouve très intéressant son rapport à la vie, à la mort, à la drogue, à son travail, le fait d’être une personne noire vivant à New York, son amitié avec Andy Warhol…
J’aime également beaucoup Francis Bacon, peintre britannique du XXe siècle, qui est notamment très connu pour ses triptyques. Il crée des œuvres incroyables, des sortes de corps distordus, humanoïdes, où tu ne retrouves pas vraiment les proportions de base. C’est très différent de ce que je fais, mais j’aime beaucoup ce que ça fait ressentir. Il crée des choses avec peu de couleurs, une palette assez sombre, et d’autres fois ce sont des tableaux pleins de couleurs, c’est très cool.
Depuis que je suis petit j’adore aussi Dalí, j’avais même fait un exposé en primaire sur lui (rires). Sinon, j’ai beaucoup de livres sur différents artistes contemporains, j’aime beaucoup lire sur elles.eux plutôt que d’aller sur leurs réseaux sociaux.
J’ai pas mal de livres des éditions Taschen, sur plein d’artistes et de courants différents. C’est très bien imagé, très bien écrit, ce n’est pas très long et tu en apprends beaucoup sur les peintures, la vie de l’artiste, ses inspirations. Il n’y a rien de mieux quand parfois tu es en page blanche, enfin plutôt en toile blanche (rires), tu n’es pas forcément obligé de dessiner ou de peindre pour chercher l’inspiration mais juste de lire, de se plonger dans l’art. Peut-être que sur le moment ça ne va rien te faire, mais le lendemain, après avoir dormi, ça va déclencher quelque chose.
J’aime également beaucoup les artistes qui font des choses un peu plus numériques, autour de l’audiovisuel et de la 3D.
Quels matériaux et techniques préfères-tu utiliser pour réaliser tes œuvres ?
J’utilise une toile généralement en lin car c’est ce qui offre la meilleure qualité, qui tient le mieux dans le temps et j’aime bien la texture. Après, je vais utiliser beaucoup d’acrylique, ça va souvent être ma base en peinture. À côté, j’aime beaucoup jouer avec les textures, l’épaisseur et le côté un peu organique des œuvres. Donc je vais souvent utiliser du Gesso ou des enduits, des matériaux pour épaissir. Je travaille avec des pinceaux et des couteaux de peinture. J’aime beaucoup peindre au couteau, tu peux étaler ta peinture, ou faire des sortes de coulées, d’aplats, de dégradés, faire des choses un peu plus déstructurées. J’aime bien car tu as ce côté un peu aléatoire, ça se crée sous tes yeux et ce n’est pas trop réfléchi non plus. Tu travailles avec ce qui est en train d’être créé.
J’aime bien aussi jouer avec les matières. Par exemple, sur un de mes tableaux (cf. ci-dessous), en-dessous d’une des couches, il y a du cellophane, mais cela se voit uniquement lorsque l’on s’approche de l’œuvre, il y a des sortes de plissés. C’est ce genre de petites choses, de détails que je vais bien aimer. Souvent, j’ai peur que mes tableaux soient un peu trop vides, je n’arrive pas à me dire que c’est bien aussi de laisser du blanc, du vide. J’ai besoin que ce soit un peu rempli, j’aime bien qu’il y ait beaucoup d’informations. Pour l’instant c’est ce que j’aime faire.
Je vais également utiliser des pastels gras et secs, et tous types de marqueurs – les gros marqueurs Molotov ou les Posca. J’aime bien ce côté graphique du trait, ce que je n’arrive pas encore à trouver avec le pinceau, ce côté un peu feutre que j’aime bien. Sinon, j’utilise tout ce que je peux avoir sous la main pour faire de la peinture, tout ce qui est à disposition. En revanche, je n’aime pas trop peindre avec mes doigts, ça n’a jamais été une expérience incroyable. J’utilise aussi beaucoup de bombes de peinture, de bombes de tag. Tout support peut être utile.
Ce sont très souvent des visages qui sont représentés sur tes toiles. Ce sont des autoportraits ?
J’ai toujours dessiné des visages. Déjà quand j’étais au papier-crayon ou au stylo, je dessinais des yeux principalement, puis j’étendais ça au nez, puis la bouche. Mais je ne savais pas trop comment construire un visage, notamment au niveau des proportions. Le premier grand tableau que j’ai fait représentait des visages, avec un grand visage au milieu et d’autres sur les côtés. C’est ce que j’ai toujours aimé faire.
J’ai déjà essayé de faire des œuvres plus abstraites mais j’ai l’impression qu’il manque un élément, quelque chose. Parfois ça peut être des pseudo autoportraits, mais ils ne sont jamais très genrés. C’est assez naturel parce que je pars du principe que ton genre, celui à travers lequel tu te ressens à l’intérieur, donc le plus important, tu en fais ce que tu veux. Par exemple, je vais faire des lèvres bien rouges mais ça ne veut pas forcément dire que c’est un visage féminin, au contraire. J’aime bien exagérer les proportions et ne pas être très réaliste. Le réalisme ce n’est pas trop mon truc.
Peux-tu nous parler d’une œuvre en particulier ?
C’est un tableau que j’ai réalisé pour ma mère (cf. ci-dessous), au format paysage, pour sa maison. C’est ma première grande œuvre dont je suis vraiment fier et qui a, je trouve, un rendu incroyable. Le fond a été peint au doigt. C’est la réalisation qui a ouvert tout le parcours dans lequel je suis aujourd’hui. C’est un peu le tableau que je prends pour voir où j’en suis aujourd’hui, en terme d’échelle de compétences. J’ai vraiment pris beaucoup de plaisir à le réaliser, ça s’est fait très naturellement. Je remarque que plus les toiles sont grandes, plus j’aime. Le dernier que j’ai fait tient aussi une grande place dans mon cœur. J’étais dans une phase où je ne trouvais rien de beau, j’étais en manque d’inspiration, je suis descendu parler avec ma mère. Elle m’a dit qu’elle verrait bien un peu de couleur, un peu de rouge sur le côté. Je suis remonté dans ma chambre et vingt minutes plus tard, c’était un “bordel” de peinture. En me disant “un peu de couleur”, ça a déclenché un truc. Ce sont des petits mots mais le résultat était génial. Et donc oui, ces deux-là montrent bien l’évolution. On voit vraiment ma patte qui a évoluée.
As-tu un futur projet dont tu aimerais nous parler ?
Oui tout à fait, j’ai un gros projet qui me tient beaucoup à cœur. Cela fait 2-3 ans que j’ai ce projet en tête, et je sais que j’y arriverais, d’une manière ou d’une autre. Mon souhait serait d’aller dans une grande ville d’abord, qui n’est pas forcément Paris, loin de là. Ça peut être Bruxelles par exemple. Aller dans un carrefour de la culture assez intéressant, et y ouvrir une sorte de warehouse, un atelier géant où différent·e·s artistes – plus ou moins amateur·rice·s, plus ou moins connu·e·s – viendraient pendant 6 mois ou 1 an. Une résidence d’artistes grosso modo, qui travailleraient tous ensemble. Ensuite, au bout d’un an, on fait une campagne de communication incroyable, avec une grande exposition des œuvres des artistes. Les plus connu·e·s feraient venir des gens, et celles.eux moins connu·e·s feraient venir des ami·e·s, etc. À la fin de cette première année, je me rendrais dans une autre ville, Florence ou Berlin par exemple, et j’y ouvrirais une autre warehouse avec le même nom, et on recommence pendant un an avec ces autres artistes. Je pourrais appeler ces lieux “Maisons Paul et Autres Facéties”. Et comme cela tous les ans, pour aller découvrir des nouvelles villes et des nouvelles·aux artistes. L’idée c’est d’apporter ma patte dans plein de villes différentes. Cela pourrait faire naitre des projets incroyables. J’aime beaucoup travailler avec d’autres gens qui créent, alors être dans une warehouse où tu es entre créateur·rice·s, ce serait vraiment génial et très inspirant. Cela permettrait de mélanger les médiums, les arts, etc. Et d’avoir des points de vue et des visions que tu n’as pas forcément lorsque tu travailles seul, tu peux en apprendre toujours sur la peinture. Tu n’arrives jamais à un stade où tu sais tout. C’est vraiment un projet que j’aimerais beaucoup réaliser.
Vous pouvez découvrir et en apprendre davantage sur le travail de Paul sur son compte Instagram : @pauletautresfaceties, et bientôt dans un Etsy Shop.
Propos recueillis par Margot Delavoipière
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